La loi du marché

loi (1 sur 1)Dans La Loi du marché, tout relève de l’ordinaire. Le film raconte l’histoire d’un combat ordinaire, celui d’un homme ordinaire, dans un quotidien ordinaire. Un homme cherche du boulot, se bat avec les armes dont il dispose, pas grand chose,  si ce n’est son endurance et sa volonté d’assurer une vie décente à sa famille. Mais si le sujet, les situations et les personnages s’avèrent tous ordinaires, la mise en scène, en revanche, livre une puissante proposition de cinéma avec un parti pris assumé et rigoureux qui font de La Loi du marché un film qui vous habite longtemps après son visionnage.

Dès la scène d’ouverture, le film place le spectateur au coeur d’un réalisme d’où sourd la violence des rapports sociaux et professionnels. Sans éclat, sans pathos ni démonstration appuyée, mais à travers le corps et le langage. La quasi totalité des scènes se déroulent en huis-clos, créant un sentiment de claustrophobie, un espace réduit comme un ring à l’intérieur duquel notre homme livre une lutte de tous les instants : face à un conseiller qui l’a envoyé durant plusieurs mois effectuer un stage ne débouchant sur aucun travail, face à la fourberie de la banquière qui réussit à lui faire souscrire un crédit, face à d’autres stagiaires au cours d’une séance filmée et commentée de remise à niveau, ou encore face à un recruteur via Skype. Humilié, écrasé, Thierry, incarné par Vincent Lindon d’une justesse impressionnante (épaulé par des acteurs non professionnels dans leur propre rôle pour certains, comme les agents de sécurité), résiste ou se résigne. Par le passé, il s’est déjà battu via son syndicat. Aujourd’hui, il n’aspire qu’à tourner la page et conserver ses acquis, non sans sacrifice. Mais ces sacrifices ont des limites, il sait aussi les fixer, comme à la fin de la scène du mobile-home, qu’il tente de vendre à un alter ego : le vendeur et l’acheteur potentiels se livrent  une partie de marchandage où chaque sou compte.

La caméra épouse son point de vue. Nerveuse, elle se déplace dans des scènes qui s’étirent pour mieux capter la tension inhérente à ces rapports de force. Lorsqu’il décroche enfin un job de surveillant de supermarché, les rapports de force se déplacent. Chargé d’épier autant les clients que ses collègues caissières, prises la main dans le sac pour de menues fautes, comme créditer des points sur une carte de fidélité, il devient un instrument des rouages du grand capital, invisible, qui broie les hommes ordinaires. Dans La Loi du marché, on ne voit pas les grands patrons. Que des subalternes, que des personnes obéissant à des ordres supérieurs, que des personnes effectuant des tâches dont ils se passeraient bien. De la banquière au gérant du supermarché, en passant par le directeur des ressources humaines qui vient rassurer les employés après le suicide de l’une des leurs, prise en flag, tous ne font qu’obéir pour survivre. Et tant pis si c’est au détriment de son voisin. Les scènes dans lesquelles défilent les voleurs, confinés dans une étroite salle aux murs vides, uniquement meublée d’une table les séparant des gardiens, sont particulièrement réussies. Un petit vieux dérobant un bout de viande pour manger, un jeune en possession d’un chargeur d’iPhone… Pas de criminels, juste des gens dans le besoin.

Tout en équilibre et en justesse, le film de Stéphane Brizé raconte donc avec force et intelligence, sans juger, l’histoire de millions de Français, petites fourmis se contentant du minium pour s’assurer un équilibre de vie sans prétention. On pourra reprocher au scénario d’avoir fait de l’enfant de Thierry un handicapé. Lors d’un entretien à son lycée, on comprend que pour lui aussi, malgré ses ambitions et sa volonté d’étudier pour réussir, la vie va se montrer sans pitié, il lui faudra se battre. Un enfant valide aurait tout autant servi le propos du film. Hormis cet excès d’écriture, le film, sans en faire des tonnes, servi par un dispositif simple mais d’une efficacité redoutable, s’avère comme l’un des plus forts réalisés sur un tel sujets ces dernières années.

Stéphane Brizé – Acteurs: Vincent Lindon – Durée: 1:37 – Année: 2015 – Pays: France
Cliquer ici pour regarder la bande annonce du film La Loi du marché
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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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1 Comment

  • Je suis allé voir ce film au Pathé Live et je l’ai trouvé très juste bien qu’il nous ramène à la réalité des choses de façon froide et brutale.